Du laboratoire au champ : combler le fossé entre agronomes et producteurs bretons
Les sols sont vivants ! La recherche et la pratique l’ont démontré : on ne peut pas considérer la terre comme un simple outil de production. Pendant que des ingénieurs agronomes tentent de comprendre le fonctionnement de la terre et la manière dont l’agriculture la bouleverse, des producteurs transforment de leur côté leurs pratiques. Mais comment circule le savoir entre ces deux mondes ?

Diminution de la teneur en matière organique, pollution ou encore érosion… les sols bretons font face à diverses menaces de dégradation. Dans le domaine de la recherche, les articles scientifiques étudient et expliquent ces phénomènes. Mais avec ses données et son vocabulaire technique, cette documentation n’est pas si simple d’accès.
Pas facile, la documentation scientifique !
Manon Pinabel est pépiniériste à Trégrom, dans les Côtes-d’Armor. Baignant dans l’agriculture biologique depuis l’enfance, elle dit s’informer pour mieux savoir comment préserver ses terres. Pour elle, les écrits scientifiques ne sont pas suffisamment adaptés aux producteurs. « Je lis des textes scientifiques lorsque mes collègues m’en parlent. Mais les chercheurs utilisent des mots compliqués, qui ne sont pas abordables pour une personne lambda, affirme-t-elle. Les termes techniques sont vite imbuvables. Et je ne peux pas prendre le temps de tout comprendre. »
Les controverses freinent aussi certain.es à consulter ces écrits scientifiques. En effet, tous.tes les agronomes ne sont pas forcément d’accord sur un même sujet. Blandine Lemercier, ingénieure de recherche en science du sol à l’institut agro Rennes-Angers, atteste : « On l’a vu dans le cas des méga-bassines, les scientifiques n’ont pas le même avis selon leur position ou l’organisme auquel ils appartiennent. » Des divergences qui peuvent entraîner une méfiance du monde agricole envers celui de la recherche.
Manon Pinabel a l’impression qu’un fossé sépare ces deux mondes. La documentation scientifique lui étant difficilement compréhensible, l’horticultrice préfère se fier à la pratique et au savoir de terrain. « Il y a plein de choses que l’on apprend en observant. Et quand on rencontre un problème, on peut en discuter avec des collègues, lors des foires par exemple. »
Pourquoi un tel « fossé » ?
Si les articles des agronomes sont souvent inaccessibles aux personnes concernées, c’est parce qu’ils ne leur sont pas directement destinés. « On écrit pour nos pairs, comme on dit, ou alors dans des revues scientifiques, raconte Blandine Lemercier. Les agriculteurs représentent une part assez faible du lectorat, ajoute Christian Walter, professeur à l’Institut Agro et directeur d’une unité de recherche. Ce sont plutôt leurs conseillers, leurs techniciens qui nous lisent. »
Pourtant, les producteurs et productrices agricoles sollicitent les ingénieurs agronomes. « Je reçois des dizaines de demandes par semaine, raconte Christian Walter. Pour les aider, il faudrait aller dans leurs exploitations, mais c’est difficile à mettre en œuvre. La recherche ne peut pas apporter de solutions locales, c’est aux agriculteurs d’adapter leurs pratiques en fonction de l’endroit où ils produisent. »
Certain.es agronomes cherchent toutefois à entretenir un lien direct avec les agriculteurs. C’est le cas de Blandine Lemercier qui fait partie du projet « sols de Bretagne », qui cartographie les différents types de sols bretons et détaille leurs caractéristiques. Un travail scientifique qui se veut compréhensible et accessible pour le public agricole. « On essaie de faire tout un travail de communication en évitant les mots qui peuvent bloquer les gens », détaille l’ingénieure.
Les intermédiaires, transmetteurs de savoirs
Dans la plupart des cas, ce sont des technicien.nes ou des structures de formation qui transmettent les savoirs entre les deux mondes. Ces acteurs, qui occupent un statut d’intermédiaire, vulgarisent pour les agriculteurs les savoirs sur les sols.
La chambre d’agriculture de Bretagne propose par exemple des formations organisées et animées par leurs conseillers. Christian Le Coeur, polyculteur et éleveur à Quimper, participe régulièrement à ces stages. « Il y a beaucoup de partage d’expérience entre les personnes présentes. On parle un peu de théorie et beaucoup de pratique. Ça peut répondre à des problématiques concrètes et apporter de la culture générale technique ».
Des associations spécialisées proposent également des stages de formation. C’est le cas du Groupement des agriculteurs bio, le GAB, qui apprend entre autres aux producteurs à réaliser des diagnostics du sol, analyses essentielles pour choisir le terrain où installer son exploitation.
Comme Christian Le Coeur, tous les agriculteurs et agricultrices, salariés ou non, sont incités à se former en parallèle de leur activité. Ils bénéficient d’une prise en charge de 3 000€ par an, via le fonds de formation national Vivea, créé par les quatre principaux syndicats de salariés, les chambres d’agriculture et une organisation patronale. « C’est un institut extérieur qui évalue et contrôle nos formations et nos intervenants », explique Colette Quatrevaux, conseillère et responsable de formations à la chambre d’agriculture du Finistère. « Leurs critères sont stricts. Par exemple, on sélectionne les intervenants en fonction de leurs savoirs et de leur capacité à transmettre. ll faut qu’ils soient qualifiés au niveau technique, expérimentés. » Des spécialistes qui ne travaillent pas forcément dans un institut d’agronomie, mais qui peuvent être membres du pôle de recherche et développement de la Chambre d’agriculture, qui collabore avec des instituts de recherche.
Pour les producteurs et productrices comme pour les agronomes, additionner savoir de terrain et savoir scientifique est un moyen de cumuler les connaissances. « Je suis dans des groupes WhatsApp d’agriculteurs et je me base aussi sur le jugement des conseillers de la chambre d’agriculture », témoigne Christian Le Coeur. « Si on veut être aidés, il faut aller vers les agronomes. Il faut être ouvert et ne pas hésiter à faire le pas ! »
Sophie Larré et Chara Philippe