Le Trégor, bastion historique de la lutte anti minière
En 2015, deux titres miniers sont accordés pour l’exploitation de métal rare et de sable coquillier dans le Trégor : la contestation populaire est immédiate et les deux projets sont finalement annulés. Retour sur ces mobilisations qui ont fait écho à la tradition militante de la région.

Qui n’a jamais entendu parler de ces Bretons de tous les combats pour sauver leur terre ? Si ce stéréotype est ancré dans les esprits, Pascal Provost, conservateur à la Ligue de protection des oiseaux (LPO) de Pleumeur-Bodou, dans les Côtes-d’Armor, y trouve une explication historique : « Notre territoire a été lourdement marqué par des pollutions, par les marées noires. Il y a une forme d’héritage et dans le caractère des Trégorrois, ça se ressent. On ne va pas se laisser faire et voir notre territoire souillé, ou dégradé. »
Depuis les premières marées noires dans les années soixante, les consciences se sont éveillées. Et ces dix dernières années, la lutte pour la protection environnementale a été victorieuse pour les Trégorrois. Deux projets ont été avortés : ceux d’extraction de sable coquillier en baie de Lannion et de métaux rares à Loc-Envel. Une lutte entre continuités et ruptures historiques.
Un siècle de lutte acharnée
Le long passé militant de la région a abouti à « à la permanence des structures de mobilisation » selon le chercheur en sciences politiques Damien Schrijen. À savoir, des organisations locales implantées dans le Trégor, prêtes à se mobiliser à l’arrivée de certains projets industriels. Damien Schrijen évoque aussi « l’attachement à la dimension paysagère » et un certain « fond régionaliste » pouvant faciliter la mobilisation.
Cet attachement au patrimoine trouve ses racines dès la fin du XIXe siècle. À l’époque déjà, Ernest Renan et Charles Le Goffic, deux écrivains trégorrois de renommée nationale, sont « lanceurs d’alerte » de leur terre natale. Très tôt, ils s’émeuvent de l’exploitation de la côte. Le premier écrit, fait référence à l’Île Grande, haut lieu des carriers : « Les masses de granit qui la composaient forment, à l’heure qu’il est, les trottoirs des boulevards de Paris ». Le second alarme sur la situation à Ploumanac’h : « Un des plus renommés paysages de Bretagne est menacé ». Leur combat se concrétise par la création de la toute première « association loi 1901 de France », le Syndicat artistique de protection des sites pittoresques de Ploumanac’h. L’objectif : préserver des paysages qui forgent l’identité de toute une région.
Le combat pour les paysages s’étend rapidement à la préservation de la faune. Dans les années 1910, grâce au train qui permet désormais aux Parisiens de rejoindre Lannion, des chasseurs affluent pour participer à des safaris sur l’archipel des Sept-Îles. De véritables massacres de macareux moines s’y déroulent. En réaction, la réserve ornithologique des Sept-Îles est créée, initiative à l’origine de la naissance de la Ligue de protection des oiseaux (LPO).
Des combats communs
Défendre un patrimoine commun crée des liens. C’est particulièrement le cas de la coalition menée par le collectif Peuple des dunes qui a mené la lutte contre l’extraction de sable en baie de Lannion. Il est parvenu à engager la LPO, d’autres associations comme Trébeurden Environnement, Sauvegarde Trégor, ou encore les pêcheurs qui dénonçaient l’impact d’un tel projet sur les lançons. Odile Guérin, géologue et militante historique du pays et membre du collectif, précise la raison de ces liens : « On avait le même but c’était d’empêcher cette extraction. Nous, on raisonnait biodiversité générale. Mais pour eux (la LPO, ndlr) c’étaient les oiseaux des Sept-Iles qui auraient été impactés, car les macareux se nourrissent de poissons. » En avril 2024, après des années de lutte et la victoire, Peuple des Dunes est dissous et fait don de sa trésorerie, soit 1500€, à la LPO : preuve d’une mise en commun des ressources de lutte.
La coalition, dépolitisée pour élargir au maximum le rassemblement, a même rallié les élus locaux, macronistes de la première heure, à l’image du président de l’Agglomération et des députés successifs de la circonscription. Pourtant, le pouvoir central, porté par Emmanuel Macron, était favorable à ces projets. Pour cela, la critique de l’extractivisme n’a pas été au cœur des discours portés. Les idées décroissantes et anticapitalistes peuvent freiner certaines personnes selon Damien Schrijen : « Trop politiser fait courir le risque de clivages », souligne-t-il.
Politiser ou dépolitiser ?
La dépolitisation est un choix qui peut permettre de rassembler plus largement autour d’une cause. Mais certaines associations ont préféré la radicalité. Comme Douar Didoull, Terre sans trou en breton, qui a fait plier la société Variscan Mines dans son projet d’exploiter le tungstène, un métal rare, à Loc-Envel. « Le collectif est étiqueté comme proche des mouvements indépendantistes, d’extrême gauche ou anarchistes, en dépit de son hétérogénéité », rappelle Damien Schrijen. Contrairement au Peuple des dunes, pour qui la dénonciation de l’extractivisme restait exceptionnelle, Douar Didoull en a fait son cheval de bataille et son slogan : « Ni ici, ni ailleurs. »
Dénoncer l’extractivisme dans une économie en demande croissante de minerais pour ses besoins d’électrification et de sable, « essentiel à la construction et la bétonisation », rappelle Odile Guérin, est souvent associé aux idées anticapitalistes. Raison pour laquelle sa critique politiquement située peut freiner la mobilisation de certains acteurs, insiste Damien Schrijen. Malgré tout, l’étiquette politique de Douar Didoull ne l’a pas empêché de se joindre aux divers combats environnementaux au fil du temps. Mines de lithium, d’uranium, méthanisation… et plus récemment, contre le projet d’élevage intensif de saumon près de Guingamp, aux côtés de l’association Eau et rivières de Bretagne.
Maxime Fragnol et Laurane Goyer