Voyage en mer : le destin des déchets

Entre 75 et 200 millions de tonnes de déchets occupent les océans. Selon l’Ifremer, 15 % d’entre eux reviennent sur le littoral. Les côtes trégoroises subissent cette pollution. Mais d’où viennent ces déchets ? Quels impacts ont-ils ? Imaginons l’histoire de trois d’entre eux. 

Déchets dans les nids de Fous de Bassan sur l’île Rouzic – Sept-Îles ⎮ © Pascal Provost – LPO

Le premier personnage de notre histoire commence son voyage près d’un sentier longeant l’Adour, un fleuve du sud-ouest qui rejoint l’océan près de Bayonne. Son apparence est celle de n’importe quel paquet de chips générique. Appelons le Vicosse. Abandonné avec négligence au-dessus d’une poubelle publique débordante, il n’attend qu’un léger souffle pour prendre la tangente et s’échapper. Cela ne manque pas. Il est emporté par la brise jusqu’à la surface du fleuve et commence alors son incroyable aventure. Arrivé à l’embouchure de l’Adour, il est lancé dans l’Atlantique. 

« À condition que les déchets ne soient pas trop denses – ce qui les ferait couler au fond de l’océan – ils vont être déplacés par les courants de surface » indique Guillaume Charria. Océanographe au Laboratoire d’Océanographie Physique et Spatiale, Il étudie les mouvements des courants en milieu côtier. D’après le chercheur, qui a réalisé des simulations de trajets de déchets depuis l’Adour, la direction et l’intensité des courants de surface peuvent être expliquées par quatre « ingrédients ». « Le premier, c’est la rotation de la Terre. Si on a juste des côtes, de l’eau et une terre qui tourne, on a des courants de surface. » Ce sont justement ces courants de surface de l’Atlantique qui emportent notre héros et l’emmènent jusque dans la Manche, près des côtes nord de la Bretagne. 

Contre vents et marées

« Le deuxième ingrédient, c’est le vent, poursuit l’océanographe, qui va aussi provoquer des courants à la surface de l’eau. » Cette observation confirme l’expérience de Quentin Le Hervé, garde de la Maison du littoral de Perros-Guirec, qui a la charge de l’entretien des plages de la commune. « Lorsqu’on a des vents qui descendent de la mer du Nord, cela va ramener vers la grève des déchets qui, normalement, se déplacent plutôt au large. »

Ensuite, il y a les vagues. « C’est relativement simple, dit Guillaume Charria, si vous ajoutez des vagues au large, cela va rajouter un courant qui a tendance à tout rabattre vers la côte ». C’est de cette façon que Vicosse, pris dans l’intense trafic des courants de la Manche, est contraint par la force des vagues à prendre une bifurcation vers les côtes de Perros-Guirec. C’est à cette étape de son voyage qu’il rencontre Michel – notre deuxième protagoniste – un morceau de pneu. 

Enfin, il y a les marées. « En milieu côtier, ça reste un des gros moteurs du courant, qui peut amener des déchets du large jusqu’à la grève », explique l’océanographe.  

Plan du cheminement des déchets ⎮ © Tiffany Santini

En se rapprochant de la côte, nos deux comparses passent à côté de l’archipel des Sept-Îles. Au-dessus d’eux virevoltent quelques oiseaux. Leurs têtes jaunes ne trompent pas : ce sont des Fous de Bassans. Nous sommes à cette période, entre avril et septembre, où la colonie de volatiles s’installe sur l’île Rouzic pour la nidification. « Ces oiseaux marins garnissent normalement leur nid avec des matériaux naturels tels que les algues », explique Pascal Provost, conservateur de la réserve naturelle des Sept-Îles pour la LPO (Ligue pour la protection des oiseaux). Problème : les oiseaux confondent les algues avec des matériaux de pêche. Selon Surfrider foundation, ces fournitures font partie des 10 déchets les plus collectés dans les mers en Europe. 

De la mer au nid  

L’un de ces débris est notre ultime personnage : un morceau de filet de pêche que nous nommerons Makoum. Avant même qu’il ne rencontre nos deux protagonistes, il est capturé par un Fou de Bassan pour être intégré à son nid. « Chaque année, on va trouver sur l’île entre 20 et 30 cadavres enchevêtrés dans des filets, autour du cou, des ailes, des pattes… », dit Pascal Provost. 

D’autres volatiles sont aussi menacés par la pollution. Revenons sur les plages de Perros-Guirec. Mona Lintanf est garde animatrice environnement à la Maison du littoral. « Quand on fouille la laisse de mer – cumul de débris naturels déposés par la mer –, on retrouve beaucoup de microplastiques. Des espèces de petites boules transparentes. C’est tout petit, mais ce qui est petit est plus facile à être ingéré par certains animaux. » 

Après avoir été pris dans le tumulte des courants, Michel, le pneu, s’est décomposé en petits morceaux. Ces fragments mesurent moins de cinq millimètres et cessent d’être considérés comme des macrodéchets pour devenir des microdéchets. C’est pour cette raison qu’il finit sa course dans l’estomac d’un goéland. 

Et même si ces oiseaux n’en ingurgitent pas directement, « les prédateurs qui mangent du poisson qui ont ingéré du plastique finiront forcément par en absorber. C’est une réaction en chaîne ! » 

Chasse aux déchets

Face aux impacts de cette pollution, l’Union européenne a voté en 2008 une directive cadre stratégie pour le milieu marin. Il incombe donc aux États membres de mettre en place des programmes de recherche pour suivre l’évolution de cette pollution, et des solutions pour y remédier. 

Dans le Trégor, Perros-Guirec est la seule commune à avoir signé la Charte Plages sans déchet plastique issue du plan d’actions national « Zéro déchet plastique en mer ». Cette signature engage la ville à organiser le nettoyage de ses plages. En plus des bacs à marées – des points de collecte de déchets installés près des plages –, des ramassages sont organisés par la Mairie, des associations et/ou des acteurs privés. C’est ainsi que Vicosse terminera sa route, ramassé pendant une ronde des agents de la Maison du littoral. Comme lui, 86 % des macrodéchets retrouvés sur le littoral français sont composés de plastique. 

Hugo Vasseur et Tiffany Santini

hvasseur

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