Que sont devenues les fosses à déchets des marées noires dans le Trégor ?

Il y a une quarantaine d’années, les marées noires ravageaient les plages des Côtes-d’Armor. Pour y remédier, une solution : enfouir les déchets dans des fosses. Aujourd’hui, ces sites ont été laissés à l’abandon ou réhabilités, présentant un danger pour l’environnement.

Les déchets des marées noires ont été enfouis en haut des plages, dans l’urgence. © Sites et patrimoines Trégastel

Sous nos pieds, des déchets. Mais pas n’importe lesquels. Les marées noires du Torrey Canyon en 1967, de l’Amoco Cadiz en 1978 et du Tanio en 1980, ont été tragiques pour la Côte de Granit rose. Désormais, le temps a effacé les traces noires sur les plages et dans la mer. Mais les déchets que ces marées ont générés gisent toujours sous nos pieds, parfois à quelques centimètres de la surface, ou enfouis définitivement. Hydrocarbures liquides, sables, galets, algues, ou encore équipements souillés, il suffit simplement de creuser. Selon le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), il est estimé qu’entre 130 000 et 150 000 tonnes de déchets restent enfouis dans les sols des Côtes-d’Armor et du Finistère.

En 1967, lors du premier déversement, ce fut la surprise générale. Personne n’était préparé à ce que toutes les plages deviennent noires. « Dans la hâte, des fosses provisoires en hauts de plages ont été creusées dans des endroits où l’écosystème était sensible. Elles ont ensuite été mal vidangées, laissant des dépôts de matériaux souillés », raconte Jacky Bonnemains, le porte-parole de l’association Robin des Bois, qui se mobilise pour la défense de l’environnement, et au niveau local contre la pollution.

Construire par-dessus, ou laisser tel quel ?

Le département costarmoricain recense 147 sites de stockage répartis dans 26 communes, dont 65 sites considérés comme pleins et onze incertains. Parfois vidangés, parfois recouverts par des parkings ou des campings, comme à Louannec, chaque site est différent. De plus, dans certains cas, les matériaux à faible teneur en hydrocarbure ont été stabilisés à la chaux et réutilisés par exemple en remblais de soubassement de la RN 12. 

Parmi ces nombreux endroits se trouve Trégastel. D’après la carte interactive réalisée par l’association Robin des Bois en coopération avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), il existerait onze sites d’enfouissement de déchets de marées noires sur la commune de Trégastel. Le plus connu et le plus grand du département est celui de Poul Palud. Ce site, d’une superficie de cinq hectares, a accueilli 50 000 mètres cubes de déchets issus des pétroliers Torrey Canyon, de l’Amoco Cadiz et du Tanio. D’après un rapport du BRGM, Poul Palud était censé accueillir tous les matériaux souillés du Trégor, mais le volume n’était pas suffisamment important. Par conséquent, des déchets, traités ou non, ont été stockés dans de nombreux sites d’enfouissement considérés au départ comme temporaires, devenus finalement définitifs. Aujourd’hui, un complexe sportif, des courts de tennis ainsi qu’une zone paysagère ont été construits par-dessus.

A contrario, certains sites sont restés tels quels, les déchets étant toujours visibles. À Trévou-Tréguignec, dans la zone marécageuse du Royau, les affleurements de chaux sont visibles au bord de la plage. À Ploubazlanec, près de l’embarcadère de Traou-an-Arcouest, les déchets ne sont pas enterrés : ils forment des talus sur un parking engazonné à 100 m de la mer.

Les risques pour l’environnement, un éternel débat

Qu’ils soient enfouis profondément, à quelques centimètres de la surface ou encore en dessous de constructions, les déchets sont bien présents, avec de potentiels dangers pour l’environnement. L’association Robin des Bois tient à rappeler que « les risques principaux sont la contamination des organismes marins et les suintements de polluants vers les plages, les eaux de baignade, les cours d’eau, les marais ».

Des conséquences que les élu·es préféreraient apparemment oublier. « Le recensement des sites de stockage de marées noires n’a pas plu aux maires. Ils aimeraient tourner la page et ne pas faire de fixations sur ces fosses », soutient Jacky Bonnemains, le fondateur de l’association.  En 1978, cette dernière a lancé une enquête en vue de bénéficier du retour d’expérience sur le comportement à long terme des hydrocarbures dans les milieux naturels. Elle s’est heurtée à la réticence des élus et des sphères du tourisme et a dû être abandonnée « compte tenu des risques de mouvements d’opinion ».

Un avis que Sophie Bahé, directrice du syndicat mixte Vigipol, ne partage pas avec Robin des Bois : « La plupart des fosses ont été réhabilitées. Aujourd’hui, elles ne sont plus sources de pollution. » Gilbert Le Dauphin, adjoint à l’urbanisme à Trégastel, assure aussi au micro de France Bleu : « Aujourd’hui, on a fait des pelouses, des jardins, un stade de foot, on ne voit plus aucune trace de la marée noire. »
Cette solution d’enfouir ne règle pas le problème. Le site est simplement recouvert, mais les déchets sont toujours présents dans les sols. L’association Robin des Bois assure que les résidus referont leur apparition, « on estime que d’ici une centaine d’années, avec les tempêtes de plus en plus violentes, l’érosion et les attaques de la mer, il y aura une résurgence des marées noires historiques ». L’enfouissement de déchets de marées noires repousse seulement le problème à plus tard.

Albane Galloyer et Guewen Renard.

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