Pourquoi ces communes du Trégor ont mis tant de temps à rénover leur réseau d’assainissement ?
De 2020 à 2024, des habitants de plusieurs communes de Lannion-Trégor-Communauté, dans les Côtes-d’Armor, se sont vus refuser leurs permis de construire par la préfecture. En cause, leurs systèmes d’assainissement, non conformes aux normes européennes, qui déversent de l’eau encore partiellement polluée dans la nature. Une problématique qui avait été identifiée depuis une dizaine d’années par les services d’assainissement des communes, puis de l’agglomération.

Quatre ans sans couler de béton. En 2024, la commune de Pleumeur-Bodou a pu délivrer son premier permis de construire, après presque quatre années d’interdiction. Pour comprendre la situation, il faut remonter à décembre 2020.
Thierry Mosimann, alors préfet du département, informe la communauté d’agglomération Lannion-Trégor Communauté (LTC) que certaines de ses communes ne peuvent désormais plus délivrer de permis de construire. La préfecture* pointe du doigt la non-conformité de leurs réseaux d’assainissement, et leur impose de les rénover.
Dans les Côtes-d’Armor, le niveau de vétusté des réseaux est calculé sur une échelle allant de 1 à 5. Plus le score attribué est haut, et plus le système d’assainissement présente des risques pour l’environnement. Les communes classées de 1 à 3 se sont vues interdites de délivrer des permis d’aménager, qui concernent les projets comportant plus d’une maison à construire. Quant à celles des catégories 4 et 5, elles n’avaient tout simplement plus le droit de délivrer de permis de construire.

C’est le cas de Trébeurden (catégorie 5) et de Pleumeur-Bodou (catégorie 4), qui ont dû mettre un frein à leur développement urbain. « Pendant deux ans, il y a des opérations qui n’ont pas pu se faire, déplore Bénédicte Boiron, maire de Trébeurden. Ça représente 20 logements sociaux qui ne se feront pas. Depuis, le terrain a été revendu et il va y avoir deux maisons. Ce sont des habitant·es, et des ressources en moins. »
Une problématique connue
Cette question n’est pas arrivée sur les bureaux des maires du jour au lendemain. « Ça faisait une dizaine d’années qu’on était en régime de dérogation. Un jour, tu es rattrapé », estime Bénédicte Boiron, qui portait alors la casquette d’élue de l’opposition.
Même scénario pour la station de l’Île Grande, rattachée à Pleumeur-Bodou. Mise en demeure en 2016 par la préfecture, elle devait être remise aux normes en 2018 puis en 2022. Son état avait attiré l’attention de l’APSIG (Association pour la Protection du Site de l’Ile Grande), qui a alerté la commune de Pleumeur-Bodou dès 2006 : « La station est équipée d’un tuyau censé rejeter les eaux en mer pour qu’il y ait une dilution. Mais il arrive, lors des marées basses, que l’eau soit rejetée sur le sable alors qu’elle n’est pas correctement traitée », précise François Luce, le président de l’association.
Après des négociations concernant la rénovation du réseau et le tarif payé par les utilisateurs, la compétence de l’assainissement pour Pleumeur-Bodou et Trébeurden a été transférée des communes à l’agglomération en 2011. Stéphane Guichard, directeur du service eau et assainissement à LTC, raconte : « Si on avait fait les travaux directement, on aurait très rapidement été non conforme. Pour essayer de ne pas se planter en sous-dimensionnant la quantité d’eau à traiter, il faut mesurer ce qui arrive sur la station d’épuration pendant pas mal d’années. » Ce fut le cas à Perros-Guirec, qui a mis en service une station neuve en 2010, déclarée non conforme quatre ans plus tard. « En plus de ça, sur un territoire côtier comme le nôtre, on est soumis à la loi littorale, donc chaque fois que vous voulez refaire une station, vous devez faire un dossier de dérogation ministérielle. »
Des réseaux entiers à rénover
En plus de la rénovation des stations d’épuration, l’agglomération doit procéder au contrôle des 40 000 branchements du réseau collectif. « Beaucoup de maisons sont mal raccordées. De l’eau pluviale est alors injectée dans le réseau d’eaux usées », indique Stéphane Guichard. Cet apport important d’eau peut entraîner un traitement moins efficace des bactéries par les stations, dû à une sursaturation de celles-ci. « Dans certaines structures, les boues en décantation risquent de remonter à la surface et d’être rejetées dans la nature », précise Bernard Salaün, gérant d’une société d’expertise en qualité de l’eau qui s’occupe d’examiner des réseaux d’assainissement. Pour éviter de telles situations, douze agent·es de LTC sont chargé·es d’inspecter les raccordements des maisons aux réseaux des 21 stations de l’agglomération. « Nous travaillons encore sur le contrôle de la conformité du réseau collectif » en vérifiant les branchements ou encore l’étanchéité. « C’est un travail sur le long terme. Actuellement, nous sommes entre 50% et deux tiers de non-conformité en général », décrit Stéphane Guichard.
Les Trégorrois·es pourraient voir leurs redevances augmenter
La rénovation de l’ensemble du réseau va avoir un coût pour les utilisateur·ices du système d’assainissement. Le montant de la construction de la nouvelle station de Pleumeur-Bodou s’élèverait à trois millions d’euros, pour une mise en service en 2026. Le budget dédié aux travaux pour Trébeurden est quant à lui plus élevé : presque six millions d’euros selon LTC. Pour financer de tels projets, l’agglomération dispose d’un budget autonome, financé par les redevances liées à l’assainissement. Dès 2022, un plan d’investissement pluriannuel a été mis en place par l’agglomération, jusqu’en 2030. Mais son montant, initialement fixé à 100 millions d’euros, pourrait bien augmenter à 170 millions d’euros selon le vice-président de LTC en charge de l’eau et de l’assainissement, Cédric Seureau. Les utilisateur·ices du réseau pourraient donc voir leur redevance augmenter d’ici à 2034 – date à laquelle les tarifs seront égalisés dans toutes les communes de l’agglomération.
Axel Trillou et Louis Blanchard
* Contactée le 9 octobre puis le 16 octobre 2024 par mail, la préfecture des Côtes d’Armor n’a pas pu répondre à nos sollicitations.