Les associations environnementales du Trégor : des stratégies pour se faire entendre
Dans le Trégor, les associations environnementales jouent un rôle crucial, mais délicat, oscillant entre collaboration avec les institutions locales et leur rôle de lanceur d’alerte.

Protéger l’eau et l’environnement en Bretagne : ce sont les objectifs communs des associations Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre et Eau et Rivières de Bretagne. Fondée en 1976, Sauvegarde du Trégor compte 250 adhérent·es et se concentre sur l’action directe et judiciaire. Son financement repose principalement sur des événements ponctuels, reflet de son approche indépendante. De son côté, Eau et Rivières de Bretagne, créée en 1979, compte environ 1 750 adhérent·es et 37 salarié·es. L’association adopte une approche plus globale en menant des actions judiciaires, des campagnes de communication, des programmes de formation et des initiatives de protection des milieux aquatiques. Grâce à un financement diversifié, provenant d’actions éducatives, de dons privés et de subventions publiques, elle bénéficie d’une stabilité financière.
Le rôle de lanceur d’alerte : une mission partagée
L’une comme l’autre, ces deux associations partagent l’objectif d’alerter sur les atteintes à l’environnement. Eau et Rivières développe des méthodes originales pour sensibiliser le public et les autorités. En mai 2024, l’association a mis en place un classement alternatif des sites de baignade, en fonction de la qualité des eaux littorales. Parallèlement, l’initiative « Sentinelles de l’eau » mobilise les citoyen·nes pour surveiller et signaler les atteintes à l’environnement.
Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre, quant à elle, multiplie les actions d’information du public sur les enjeux environnementaux locaux. Des appels à la population sont lancés pour participer au recensement des sites affectés par les algues vertes. Mais Yves-Marie Le Lay, président de l’association, trouve le terme « lanceur d’alerte réducteur » : « On n’est pas seulement lanceurs d’alerte. On n’est pas là, à crier partout “Attention, les algues vertes, ça détruit la biodiversité”, on poursuit et on va devant les tribunaux administratifs ».
Batailles judiciaires : un impact sur les politiques environnementales
Dans le domaine judiciaire, Eau et Rivières de Bretagne et Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre adoptent des approches distinctes, mais complémentaires pour défendre l’environnement breton. Eau et Rivières utilise l’action en justice comme levier pour faire appliquer ou améliorer la législation environnementale. L’association a remporté plusieurs victoires significatives, notamment auprès du Conseil d’État, concernant l’usage des produits phytosanitaires. Aussi, elle a obtenu gain de cause pour des questions liées à la qualité des eaux de baignade et à l’extension d’élevages porcins, auprès du tribunal administratif de Rennes.
De son côté, Sauvegarde du Trégor Goëlo Penthièvre choisit une approche plus offensive, particulièrement sur la problématique des algues vertes. « La seule solution que nous avons retenue, c’est la justice », raconte Yves-Marie Le Lay. En 2023, l’association a obtenu du tribunal administratif de Rennes la reconnaissance du préjudice écologique causé par les marées vertes dans la baie de Saint-Brieuc. En juillet 2024, elle a déposé une nouvelle plainte pour le même motif auprès du tribunal judiciaire de Brest, contre les gestionnaires de la réserve naturelle de la baie de Saint-Brieuc, le conseil départemental des Côtes-d’Armor, le conseil régional et la chambre d’agriculture. Toutes ces actions judiciaires contribuent à faire évoluer le cadre légal et à renforcer la protection de l’environnement en Bretagne.
Des rapports contrastés avec les institutions
Chez Eau et Rivières de Bretagne, la participation aux commissions est un levier important. « Chaque année, 200 bénévoles participent à environ 250 commissions qui représentent 6 000 heures de travail », explique Arnaud Clugery, directeur opérationnel d’Eau et Rivières. L’association s’appuie sur l’expertise de bénévoles qualifié·es, lui permettant de gagner en crédibilité. Annie Bras-Denis, élue locale, ajoute : « Je pense qu’il y a quand même des associations qui sont incontournables dans le paysage, en fonction de leur ampleur, Eau et Rivières de Bretagne par exemple ».
Mais l’association ne considère pas cette approche comme acquise. Cette stratégie est réfléchie tous les cinq ans, « le choix d’allier à la fois l’opposition et la participation n’est pas un choix si évident que ça », explique Arnaud Clugery. Pour l’association, c’est un modèle qui fonctionne : « Quand vous êtes financés pour un tiers par des actions d’éducation à l’environnement avec des collectivités locales, un tiers par des donateurs et des entreprises privées, des fondations et vos propres adhérents et le dernier tiers par de l’argent public, […] ça fait une capacité de résistance à la pression », assure-t-il.
De son côté, Sauvegarde du Trégor maintient une posture plus distante. Pour son président, Yves-Marie Le Lay, le dialogue avec les institutions ne porte pas ses fruits : « Les associations de protection de l’environnement, quand elles donnent un avis, sont complètement noyées, elles sont toujours minoritaires. Donc à quoi ça sert ? ». L’association, dépendante d’aucune aide financière institutionnelle, préfère mener des actions directes et judiciaires plutôt que de participer aux instances de concertation.
Des stratégies différentes qui ont chacune fait leurs preuves. Les deux associations ont gagné des batailles historiques. Arnaud Clugery résume : « On n’est pas toujours les uns les autres alignés sur les mêmes stratégies, et finalement ce n’est pas plus mal, ça s’appelle la biodiversité, et souvent c’est plus efficace que la monoculture ».
Elisa Cribier et Mellit Derre