Le Peuple des Dunes en Trégor : comment garder son souffle ?
Ne pas perdre son souffle. C’est le défi que toutes les associations locales doivent relever afin de mener à bien leur combat. Perdurer, le Peuple des Dunes l’a fait pendant douze ans, pour lutter contre l’extraction de sable en baie de Lannion. Retour sur leur histoire et les moyens mis en place en vue de résister.

Une mobilisation est comme un marathon. Il faut tenir dans la durée, sans trop s’essouffler. Durant douze ans, le Peuple des Dunes en Trégor, basé dans les Côtes-d’Armor, est parvenu à relever ce défi. Formé en novembre 2012 pour s’opposer à l’extraction de sable coquillier en baie de Lannion par la Compagnie armoricaine de navigation (CAN), le collectif a atteint son objectif en 2024.
La première action du collectif remonte à l’année de sa création. Une réunion publique et une manifestation sont organisées. Le top départ est lancé. Il va maintenant falloir réunir les bonnes conditions. « Après ces deux évènements, la mobilisation s’est répartie dans plusieurs communes. Ça a fait tache d’huile, raconte Yves Marie Le Lay, un des représentants de l’organisation depuis sa naissance et milit ant emblématique du Trégor. On a beaucoup communiqué avec les médias locaux pour faire connaître les problèmes environnementaux que pouvaient engendrer l’extraction de sable », comme l’érosion des côtes ou encore la destruction des récifs coralliens.
Avoir l’expérience et les ressources nécessaires
Damien Schrijen, docteur en sciences politiques, analyse : « Avec ces rassemblements réguliers, les mouvements créent l’actualité. » Cela leur permet de s’inscrire à l’agenda médiatique, de faire connaître le problème. « C’est une des raisons pour laquelle les médias jouent un rôle important. L’accès à l’arène médiatique permet d’augmenter la mobilisation et donc de la faire perdurer », ajoute le chercheur. Pour avoir accès aux médias, les associations ou collectifs ont besoin de ressources, qui vont permettre d’accélérer le pas. « Au sein du Peuple des Dunes, plusieurs personnes avaient déjà pris part à des mouvements associatifs. Beaucoup connaissaient des noms de journalistes et avaient les connaissances et l’expérience nécessaires pour réussir à faire perdurer une lutte », décrit le spécialiste des mobilisations locales.
Le chercheur explique qu’en dehors d’un accès aux médias, certains facteurs facilitent la pérennisation du souffle militant. Plus il est localisé sur un territoire, plus les personnes se sentent concernées et vont se mobiliser. « On défend avant tout un territoire vécu », affirme Damien Schrijen.
Les limites des soutiens politiques
Dès ses premières années, le Peuple des Dunes en Trégor obtient le soutien de personnalités politiques locales. Entre autres, celui de Joël Le Jeune, président de l’agglomération Lannion-Trégor Communauté et maire de Trédrez-Locquémeau, et Corinne Erhel, députée. Selon Damien Schrijen, « le soutien des politiques permet de donner un poids aux associations, et d’aller plus loin dans leur lutte ». Comme un second souffle. Une observation qu’Yves Marie Le Lay partage : « Les politiques représentent la démocratie et les avoir de notre côté a été très utile. Mais avec le temps, certaines personnes de notre groupe se sont complètement fondues avec ces derniers et on ne menait plus les actions qu’une association est censée mener. Nous n’étions plus un contre-pouvoir. On n’avait plus la main », raconte Yves-Marie Le Lay. En mars 2016, à l’approche des élections présidentielles, l’unité obtenue au sein du collectif se fissure.
Pour François Luce, également membre de Peuple des Dunes, au-delà de ne plus avoir la main sur la lutte, la présence de politique suscite un autre problème : l’insertion du débat politique dans le mouvement. « Au début, on n’abordait pas ces questions politiques. Il y avait des gens de tous les bords, on s’en foutait. Et puis, quand les élections se sont rapprochées, des tendances se sont détachées. »
Suite à ces divergences, un groupe fait scission. Naît alors une association dissidente : les Peuples des Dunes de Batz à Bréhat. Il lui faut engager des militant·es sous sa bannière. « Nous savions que la CAN allait tenter de prélever du sable dans très peu de temps. Nous avons donc décidé d’organiser une grande manifestation pour mobiliser le plus de personnes possibles », développe Yves Marie Le Lay. Après plusieurs mois d’inaction, 4000 personnes se réunissent en 2016 sur le quai d’Aiguillon, à Lannion.
Et après ?
Finalement, au printemps 2024, la CAN renonce à son droit minier après avoir tenté d’obtenir, sans succès, une indemnisation devant la justice. La ligne d’arrivée se rapproche. Se pose alors la question du devenir des deux Peuples des Dunes. Le collectif historique se dissout, considérant que l’objectif est atteint et qu’il n’a plus de raison d’exister. Pour lui, le marathon est terminé. En parallèle, l’association les Peuples des Dunes de Batz à Bréhat ne se dissout pas et appelle à la vigilance, considérant qu’il existe encore des risques.
Selon Damien Schrijen, ces deux cas de figure sont les plus privilégiés par les associations ayant obtenu gain de cause. « Lorsque la lutte n’a plus de raison d’exister, soit les membres décident de dissoudre la structure et de se renouveler dans d’autres associations, soit l’organe perdure et reste en vigilance sur le combat. » Dans ce deuxième cas de figure, le risque est une démobilisation avec le temps. Il ne faut pas perdre le souffle.
Une autre solution est également de recycler l’association sur un autre territoire ou un autre combat. Mais ce cas comporte aussi des risques. « Les personnes s’engagent sur un territoire vécu, ce sur quoi ils se sentent concernés. Si ce territoire change, il y a des chances pour que l’association ne parvienne pas à mobiliser de la même façon », analyse Damien Schrijen. Le sociologue conclut : « Il faut malgré tout se rappeler que l’objectif initial d’une mobilisation est d’obtenir un résultat. Dans ce cadre-là, une fois le problème réglé, est-il vraiment nécessaire de la faire perdurer ? »
Malon Baldos et Elisa Boyer