ENQUÊTE : Autour de Lannion, deux PFAS classés cancérogènes retrouvés dans un ruisseau

Selon des données publiques, le ruisseau du Gruguil, petit cours d’eau d’une dizaine de kilomètres entre Lannion et Perros-Guirec, charrie des polluants éternels. L’un d’eux au moins est un cancérogène avéré.

Poêle, produits cosmétiques, emballages en papiers, batteries… Tous ces produits que vous utilisez au quotidien ont un point commun, ils contiennent tous des PFAS. Ces « polluants éternels » sont des molécules de synthèse créées par l’être humain il y a cinquante ans. Yann Aminot, biogéochimiste à l’Ifremer, travaille depuis 2016 sur les PFAS et explique que « c’est intéressant pour plein d’usages industriels mais dans l’environnement c’est un problème. La stabilité de la liaison carbone et le fluor qui compose ces molécules est synonyme de persistance d’où le surnom de polluants éternels donné à ces PFAS ».

Des PFAS se retrouvent ainsi dans le ruisseau du Gruguil où courent au moins cinq de ces polluants entre Lannion et Perros-Guirec, au cœur du Trégor. 

Parmi eux, le PFOA, classé cancérogène pour l’homme selon le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), et le PFOS, cancérogène probable, sont bannis depuis juillet 2020 par la Convention de Stockholm, à l’échelle internationale.

Ces deux molécules ont été détectées sur les 21 prélèvements d’eau de surface effectués en aval de l’aéroport de Lannion, entre janvier 2021 et décembre 2023 (voir carte et tableau).

Ces données publiques disponibles sur la plateforme Naïades de Eau France, le service public d’information sur l’eau, n’avaient jusqu’alors jamais été exploitées. Pourtant, elles révèlent que l’eau serait impropre à la consommation, sur la base des normes américaines de l’US Environnemental Protection Agency (EPA), en l’absence de norme française existante.

Cartographie du cours du ruisseau du Gruguil dans lequel ont été détectés des PFAS. © Enzo Hesry

Des effets multiples sur la santé

Même si les concentrations relevées restent plutôt raisonnables en comparaison avec certaines pollutions relevées en Belgique ou aux États-Unis, des effets néfastes des PFAS sur la santé ont déjà été observés même à faible dose.

Cancers des organes reproducteurs et des reins, augmentation du taux de cholestérol, perturbateurs endocriniens entraînant de l’obésité … Les conséquences peuvent être nombreuses et toucher aussi bien les adultes que les jeunes enfants. Dès la grossesse, les PFAS peuvent traverser le placenta et contaminer les fœtus, causant des retards de croissance. À la naissance, ces polluants peuvent également se retrouver dans le lait maternel. Chez les enfants, cela peut entraîner une diminution de la réponse immunitaire à la vaccination et ainsi accroître le risque d’autres pathologies, notamment des infections respiratoires.

« Aux plus faibles doses (comme dans le ruisseau du Gruguil), ce sont des effets qui peuvent concerner l’ensemble de la population. C’est en augmentant les doses et les durées d’exposition, que l’on voit apparaître les effets plus sévères », rappelle Alfred Bernard, docteur en toxicologie et professeur émérite à l’Université Catholique de Louvain.

Une origine difficile à déterminer

Ces polluants éternels étant présents partout dans notre quotidien, il est difficile de déterminer leur origine de manière précise. Pour tenter de retracer la provenance de ces substances, nous avons établi plusieurs hypothèses en remontant le long du ruisseau du Gruguil pour explorer ces pistes.

Premier arrêt, l’aéroport de Lannion. Situé au niveau de la source du ruisseau, il a pu être responsable de la pollution aux PFAS en raison de l’utilisation d’émulseurs anti-incendie contenant du fluor. Sur place, nous rencontrons David Le Floc’h, responsable du Service de sauvetage et de lutte contre l’incendie des aéronefs (SSLIA). Il nous explique que depuis 2008, soit un an après son arrivée dans la structure, les émulseurs utilisés sont produits par une marque française pionnière et ne contiennent plus de fluor. Cet ancien pompier de Paris affirme être « très alerte à ce sujet. On est sensibilisé au sein de l’aéroport depuis de nombreuses années sur ces questions d’environnement ».

Cependant, ces polluants étant éternels il n’est pas à exclure que des mousses plus anciennes, rejetées avant 2008, puissent toujours contaminer le Gruguil. Du moins c’est l’avis d’Alfred Bernard : « La présence de PFAS connus de longue date dans les relevés met plutôt en cause les mousses anti-incendie utilisées avant 2008, d’autant que le ruisseau passe juste en dessous de l’aéroport et que les valeurs sont relativement faibles. »

Depuis 2008, le véhicule d’intervention mousse des pompiers de l’aéroport de Lannion ne pulvérise que des mousses anti-incendie non fluorées. © Enzo Hesry

Nous reprenons notre chemin le long du cours d’eau, jusqu’à l’usine de traitement d’eau de Pont-Couennec. Le service est aujourd’hui géré par l’entreprise Veolia et alimente en eau potable les communes de Perros-Guirec et Trégastel, soit près de 10 000 habitants. 

Cédric Seureau, vice-président de Lannion Trégor Communauté en charge de l’eau et de l’assainissement, annonce avoir « testé tous les apports en eau vers les usines de traitement des eaux potables ». L’objectif, évaluer l’ampleur du problème et estimer le coût des moyens à mettre en place ensuite. « J’ai été rassuré d’apprendre qu’on n’avait aucun PFAS détecté », explique-t-il avec soulagement. 

Des résultats qui s’expliquent par le fait que l’eau qui entre dans l’usine pour être rendue potable est prélevée dans le Léguer et non dans le Gruguil voisin. Avant d’effectuer davantage de prélèvements, notamment au niveau des stations de traitement des eaux usées, l’élu attend un décret du gouvernement qui devrait arriver début 2025.

Enzo Hesry et Camille Privat

ehesry

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