La douce facture d’eau des usines agroalimentaires

De la viande, des boissons, des gâteaux… Ces produits ont un point commun : le besoin d’eau dans la production. L’industrie agroalimentaire, grande consommatrice de la ressource, rejette de nombreuses pollutions. Reste une question centrale : qui paie le traitement  ?

Les deux cuves servant à collecter les effluents de la distillerie Warenghem à Lannion. © Cindy Duffay

Première région agroalimentaire française, la Bretagne compte 1 100 entreprises du secteur, selon la Chambre d’agriculture de Bretagne. Une industrie gourmande en eau pour la production, le nettoyage ou encore le refroidissement des machines. Les usines agroalimentaires sont souvent reliées au réseau des collectivités, mais qui paie le traitement de ces eaux usées ?

Entre les fûts de whisky de la distillerie Warenghem, à Lannion, se trouve un forage, raison de leur présence sur ce site depuis 50 ans : « L’eau est puisée directement dans le sol, cela nous permet d’être indépendant », souligne Anna de Luca, chargée de la qualité à la distillerie Warenghem. Un choix qualitatif, mais aussi économique : « Nous n’achetons pas l’eau, nous payons juste une redevance à l’Agence de l’eau Loire-Bretagne », ajoute-t-elle. 

« Enlever les gros morceaux »

Certaines entreprises agroalimentaires disposent d’un système de pré-traitement des eaux usées pour réduire la quantité d’effluents grâce à des filtres diminuant la concentration de pollution. Ce qui leur permet de baisser leur facture à la station d’épuration des collectivités : « Nous enlevons, en schématisant, les gros morceaux et la graisse », explique Dominique Riou, responsable maintenance et environnement du site de Guingamp de l’entreprise Socopa Viandes. De l’autre côté de la ville, la viande laisse place aux biscuits Saint-Michel avec toujours le choix du pré-traitement. Gérald Roland, directeur de l’usine, décrit leur processus : « Une presse à boue retient un maximum de polluants et de résidus de farine. »

De son côté, pour faire des économies, la distillerie Warenghem envoie une partie de ses effluents en méthanisation. « Nous enlevons ce qui est très concentré en sortie de l’alambic. » Une à deux fois par semaine, un prestataire externe vient chercher les résidus qui serviront ensuite à faire du biogaz. 

« Un industriel paye la même chose »

Pour aider les entreprises à réduire leurs pollutions, des programmes d’aides sont mis en place par l’Agence de l’eau, un établissement public de l’État. « Plus les travaux participent à nos priorités, plus le taux d’aide est important », justifie Olivier Brunner, chargé d’intervention industrie et activités concurrentielles à l’Agence de l’eau Loire-Bretagne (AELB). La réalisation de travaux peut être subventionnée à hauteur de 30 à 70 %. La taille de l’entreprise est aussi prise en compte : les petites reçoivent davantage de subventions. 

L’Agence de l’eau perçoit 400 millions d’euros de redevance par an. Une somme récoltée directement sur les factures d’eau des ménages et des industries au titre de la « modernisation des réseaux de collecte ». Détentrices des infrastructures, les collectivités émettent les factures et reversent cette redevance à l’AELB. Un montant qui est le même pour les ménages et les industriels. Même chose pour l’abonnement, le tarif est similaire. Sur la facture, seule la consommation varie. Mais « un industriel, même s’il a des effluents plus chargés, paye la même chose qu’un abonné », relève Stéphane Guichard, responsable du service eau et assainissement à Lannion-Trégor-Communauté. 

Le paiement et le traitement des eaux d’une usine agroalimentaire. © Cindy Duffay et Jade Lelieur

Un principe de pollueur-payeur dérisoire

Pour pallier cette situation, le principe de pollueur-payeur est en cours de développement à Lannion. Stéphane Guichard précise : « Nous mettons en place des conventions pour que l’industriel paie une facture proportionnelle à la pollution rejetée. » Un processus long, car individualisé pour chaque entreprise. « Nous calculons un coefficient de pollution. En fonction de ce que ça nous coûte en plus, la facture de l’industriel sera multipliée par deux ou trois », souligne-t-il. 

Sur le site de Socopa à Guingamp, l’un des douze de l’entreprise, Dominique Riou avance : « Nous payons environ cinq euros le pour l’achat de l’eau et le rejet. » Un montant à mettre en perspective avec les 80 000 m³ utilisés chaque année. Sur un an, l’entreprise paye donc 400 000 € d’eau. Une goutte d’eau dans la machinerie du groupe. Le chiffre d’affaires de Socopa Viandes s’élevait à 1,9 milliard d’euros en 2021, selon Infogreffe.

« L’odeur était insupportable »

Quelques centaines de mètres plus loin, dans le quartier de Sainte-Croix à Guingamp, les riverain·es ne supportaient plus les nuisances rejetées par les industriels en 2018 : « L’odeur était insupportable, nous avons fait une pétition », explique Peggy Corbel, habitante et déjà élue à Guingamp à cette période.

Aujourd’hui, la situation s’est améliorée, non sans difficultés : « Il y a eu un engagement financier de l’agglomération. Ils ont mis un produit au niveau du poste de relevage. » Mais impossible pour la riveraine de chiffrer précisément ce coût.

Réutiliser les eaux usées

Depuis juillet 2024, un décret permet aux usines agroalimentaires de réutiliser les eaux usées, promettant une réduction de la facture. « C’est une bonne nouvelle ! Nous pourrons réfléchir à recycler l’eau », se réjouit Anna de Luca de la distillerie Warenghem.

Anna de Luca, chargée de la qualité à la distillerie Warenghem, à Lannion. © Cindy Duffay

Mais pour l’heure, en Bretagne, les entreprises n’ont pas encore commencé à recycler leurs eaux usées. En cause : « le principe de précaution fort pour l’environnement et la santé », souligne Jean-Pierre Rouault, chargé d’intervention spécialisé industrie chez l’AELB.

Selon l’Association bretonne des entreprises agroalimentaires, les prélèvements d’eau du secteur pourraient être réduits de 20 à 25 % avec, à la clé, de belles économies.

Jade Lelieur et Cindy Duffay

Jade Lelieur

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